MARWA MAGAZINE

MAROUA ÉVOLUTION HISTORIQUE I

La Marva des Giziga (XVIIIe siècle)

Nous donnerons une version de la prise de pouvoir par les Giziga Bi-Marva parmi celles qui contiennent le plus grand nombre d’éléments constitutifs:

«Le chef Bi-Dugwoy qui règne sur Maroua est accusé de ne pas satisfaire les aînés des clans électeurs. Les Bi-Marva sont présentés comme des chasseurs du sud, de Midjivin, et qui vivent en brousse sous des riya (Acacia ataxacantha). Ils apportent régulièrement de la viande séchée aux femmes de Maroua qui puisent de l’eau dans le mayo Ferngo.
«Les clans Megesele, Ndubula, Ngwoyang (Masfaye) et Gilbada décident de déposer Bi-Dugwoy pour donner le pouvoir à ces nouveaux venus. Les Gilbada vont trouver Bi-Dugwoy et lui disent qu’il faut abattre des bœufs et satisfaire les notables. Bi-Dugwoy accepte et fait préparer un festin, il demande pour lui-même simplement des gotani, une variété de cucurbitacées. Les Gilbada qui, comme les Bi-Marva, sont originaires de Midjivin, s’entendent avec les Megesele et demandent à Bi-Dugwoy de s’isoler de la populace sur son balak (auvent), eux s’installent au-dessous. Ils décommandent le repas et attendent. Des gouttes de courge tombent de l’auvent sur un Gilbada, qui s’écrit: «qui mange des choses à la graisse là-haut, alors qu’ici nous n’avons rien; allons-nous supporter cela plus longtemps?»

«Au moment de la grande fête de fin d’année, lorsque Bi-Dugwoy et les siens sont partis à la chasse vers Djoulgouf, le chef Bi-Marva est intronisé. À son retour, Bi-Dugwoy entend des tambours et demande: «que se passe-t-il dans la ville?», On lui répond: «les Megesele ont choisi un autre que toi». Il veut fuir, on l’en empêche. On lui demande de quitter son saré de Kakataré pour s’établir à Dougoy, où il ne sera plus qu’un chef de quartier.»
Ce récit rend compte d’un assemblage de stéréotypes appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler des «mythes » de fondation antérieurs:
— Celui de l’éviction des chefs au moment de la chasse rituelle qui clôt l’année, suggérant l’existence ancienne de cycles de règnes (la prise de Doulo s’est également effectuée lors d’une chasse collective);
— La courge symbolise tout un ensemble de courants migratoires venus du Logone. Cette courge, qui n’est pas partagée, génère conflits et départs;
— Quant au mythe du chasseur qui distribue de la viande et à qui l’on offre le pouvoir, on le retrouve au sud, chez les Mundang (à Léré).
Les Dugwoy font partie des groupes du Logone, alors que les intronisateurs Megesele seraient originaires de Doulo. Les Gilbada appartiennent à la dernière vague de peuplement remontée du pays mbana (mundang) au XVIIe siècle, comme les Bi-Marva eux-mêmes. Les Bi-Marva eurent donc à unifier sous leur commandement des groupes hétérogènes, arrivant en ordre dispersé sur les piémonts de cet archipel de massifs-îles au nord de Maroua.
À Marva même, dans sa partie occidentale, les quartiers de Zokok et de Zouloum étaient peuplés de Megesele, qui fournissaient le masay qui nommait le chef, et de Mogodinger et de Digidim, qui donnaient aussi de grands notables.
Dans la partie orientale de la ville, les quartiers Bongor, Kakataré et Hidiguir (foulbéisé en Diguirwo) regroupent les clans de la chefferie, les Bi-Marva, leurs alliés et des clans esclaves.

Le quartier de résidence du dernier chef bi-marva est Bongor. Les désignations des sites de sarés des chefs de lignées «mofu » et giziga restent sujettes à caution, mais reflètent en général la bipolarisation géographique de la ville, les chefs résident dans la partie orientale de la ville, l’ouest étant réservé aux clans «autochtones» intronisateurs où se situent les principaux autels (Mbaggure, Humorde, Luggere hayre).
Les Giziga apportent toutefois une nouvelle façon d’habiter, avec des constructions entièrement végétales, à l’exception des greniers. Les éléments amovibles étaient nombreux, dans une architecture basée sur des modules de cases affrontées. Le vaste saré du chef se dégageait avec un gala, clôture spéciale en sekko, renforcée d’une haie de Commiphora africana. Ce tout végétal conduisit à un desserrement des quartiers afin de limiter les risques d’incendie. Les quartiers sont pris dans des haies végétales de Commiphora et d’euphorbes afin de protéger certains champs de case en canalisant le bétail. Ce sera aussi un bocage défensif, qui perdurera en partie au début de la période peule, et jusqu’en 1970 à Makabay.

Pendant l’époque giziga, les champs se situent au nord des mayos Ziling et Kaliao, mordant sur Domayo, jusqu’à Djarengol. L’interfluve de Domayo représente une sorte de no man’s land entre Marva et Makabay, menacé par les divagations du mayo Ferngo. Il constitue une réserve de graminées pour des populations qui en font grand usage. La toponymie le rappelle encore avec le quartier Domayo Bololo (bololo est le nom local de Andropogon gayanus), recherché pour tresser des tapades. Elle signale aussi la nature humide du terrain à ce moment-là.
La région de Maroua reste très boisée, à l’exception toutefois des collines. Les berges des mayo portent encore d’épaisses végétations ripicoles giboyeuses .
La Maroua peule
La conquête de Marva
Les modalités de la conquête peule vont déterminer l’avenir de la ville jusqu’à nos jours.
Au XVIIIe siècle, les Fulbe qui vivent auprès des Giziga sont, soit des Fulbe Baamle (cf. Les Fulbe) installés à Makabay, soit des riimay’be (affranchis) envoyés en éclaireurs ou qui, le plus souvent, ont fui leurs maîtres, restés au nord du Wandala. Ces affranchis, concentrés à Bilmiti, plus nombreux et mieux organisés, vont rapidement, grâce à leurs alliances matrimoniales, entrer dans les rivalités dynastiques des Giziga. Commandés par Mal Biiri, ils s’allient aux Giziga Kaliaw, une branche des Bi-Marva, contre le chef de Marva.
Après une série de combats, entre 1792 et 1794, le chef bi-marva est bouté hors de la ville .
Pendant seize ans, Mal Biiri restera le maître incontesté de Maroua.
Mais les riimay’be, vainqueurs, se trouvent devant une situation qu’ils ne sauront résoudre. Lors de l’époque nomade, ils représentaient la principale force guerrière des groupes peuls en déplacement, nommant (ou influençant fortement la nomination) des ar’do’en. À Maroua, cette situation les empêche de légitimer leur conquête, d’autant que les familles de leurs maîtres les ont rejoints (Fulbe Taara et Sawa); ces derniers entendent bien rester dans cette logique et confisquer la victoire à leur profit.
Les nombreuses conquêtes peules, qui surviennent un peu partout en cette fin de siècle, vont être récupérées par un vaste mouvement religieux animé par Sokoto et relayé par Yola.

Le seehu de Sokoto s’arrogera le droit de nommer les chefs sur les seuls critères de leurs compétences en matière coranique, or ces compétences sont entre les mains des lettrés peuls des familles des maîtres.
Les riimay’be parviennent à écarter Al Kasum (Fulbe Taara), ancien représentant des Fulbe auprès du chef bi-marva, puis des chefs de lignage comme Biibi (Fulbe Sawa) et enfin, Muhaman Selbe (Fulbe Taara). Ils ne veulent voir en eux que des imams, alors que ces derniers s’entêtent à vouloir gouverner, c’est ainsi que Kaw Buhaari et Bah Yeero, successeurs de Muhaman Selbe, seront tour à tour éliminés.
Ceux qui veulent aller chercher le tuutawal (la bannière) à Yola, sont écartés par ces mêmes riimay’be que l’on désignera ensuite comme Fulbe Zokok. Mal Biiri, leur représentant, s’est installé dans le quartier du masay megesele, dans son propre saré, héritant du même coup du rôle d’intronisateur .
Mal Biiri et les riimay’be vont alors choisir un modibo «chargé de corans» et dépourvu de clientèle, étranger aux familles peules Taara et Sawa.

C’est Muhaman Damagaram, un Fulbe Badawwoy, à qui l’on confie la fonction d’imam. La mosquée sera implantée sur le lieu des lawru (sacrifices) des Bi-Marva. Modibo Muhaman Damagaram prendra peu à peu en main la partie orientale de la ville.
La ville garde sa division en deux, partagée selon une ligne qui va de l’actuelle prison (à Zouloum) par Luggere Kaygamma jusqu’au mayo Kaliao et, au-delà, vers Makabay.
Les descendants de Mal Biiri deviendront les kaygamma (pour reprendre la titulature copiée sur le Bornou, qui se met en place dans tous les lamidats peuls). Ils nomment les lamidos. Le premier à recevoir ce titre est Sali, fils de Modibo Muhaman Damagaram. Les lamidos s’arrogent le droit, à leur tour, de nommer les kaygamma, toujours dans la famille de Mal Biiri.

Entre ces deux villes s’insèrent des quartiers-tampons qui seront récupérés plus tard par le lamido; ils appartiennent aux familles qui ont eu un temps l’imamat sur la ville et la prétention d’y régner.