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LA CIRCONCISION CHEZ LES KOTOKO, DANS L’ANCIEN PAYS SAO,
PAR Jean-Paul LEBEUF
Chargé de recherches au Musée de l’Homme.

Dans tout le pays kotoko la circoncision, àtsïa à Afadé, elaràg kasïa à Kouda, kajya à Ngala, a lieu à la fin de la saison sèche. A Goulfey, Afadé et Kouda entre autres, elle a lieu après la petite, et immédiatement avant la grande saison des pluies, au début du mois de juin de notre calendrier. Les Sultans des anciennes villes suzeraines (Makari, Goulfey, Kouda, etc.) en fixent la date, de plus ils assistent à certaines de ces cérémonies.
A Afadé quand le temps est venu, les pères préviennent leurs fils en âge d’être circoncis. Au jour dit, qui est toujours un mercredi (laraba, Ar.),

Le pays le matin de bonne heure, le père lave son fils avec de l’eau dans laquelle il a écrasé quelques feuilles de karaga, arbre sacré auquel un culte était vraisemblablement rendu chez les Sao.
Puis tous les enfants sont conduits ensemble à la case de la circoncision (fimâgfâg). Là, l’oncle paternel d’un des enfants qui sera chargé pendant tout le temps de la retraite de veiller sur eux, procède immédiatement à l’opération. Il n’a pas de nom spécial et peut être très jeune: cette année (1937), il s’appelait cigo et était âgé de 18 ans environ, les circoncis étaient au nombre de cinq.
Le plus âgé s’assied devant l’opérateur les jambes allongées et vêtu seulement d’un vieux pagne très large ; le circonciseur tire fortement sur le prépuce qu’il coupe en silence avec un couteau quelconque mais bien affilé.
Les enfants ne doivent ni crier, ni pleurer. Si l’un d’eux manifeste une crainte quelconque, l’opérateur, les enfants circoncis et ceux qui le seront dans un instant, rient et se moquent de lui en faisant toutes sortes de plaisanteries et en lui faisant honte de sa faiblesse.
Les prépuces sont enfouis un à un dans l’épaisse couche de sable dont les petites filles du village, ont, la veille, recouvert le solde la case.
Quand tous les enfants sont circoncis, ils s’allongent à même le sol, sous l’œil attentif de leur gardien qui veille à ce que leur pagne ne touche pas la plaie ; pour éviter tout contact une ficelle attachée au plafond maintient le pagne loin de l’organe opéré (fig. 1, 1). De plus il leur fixe entre les jambes, un peu au-dessus des genoux un bâton fourchu à ses deux extrémités (ântsa) et qui les empêchera de rapprocher les jambes.
Ils ne l’enlèvent que pour aller uriner et déféquer dans un petit trou (wulum) qu’ils creusent à cet effet dans un endroit retiré.
Pendant les 15 jours que dure la retraite, les circoncis (wâdzân) ne sortent qu’accompagnés de leur gardien. Chaque matin leurs pères viennent leur rendre visite. Ils ne verront leurs mères qu’au bout de 15 jours; tous les matins elles déposent la nourriture à la porte du petit enclos qui précède la case de la circoncision. Elle se compose d’une boule de mil accompagnée d’une soupe de poisson dans laquelle on a ajouté du natron (tfa), sauf le premier jour où les enfants mangent seulement une bouillie de mil et de natron.
Le soir, ils reçoivent la visite des jeunes gens précédemment circoncis qui répandent du sable propre sur le sol de la case.
Leur seule occupation pendant la retraite peut être, avec la confection des ântsa pour les circoncis de l’année suivante, la confection d’un long bâton (embem) (fig. 1, 3) qui porte à une extrémité une masse de cire noire (buduku) ornée de cauris (endiri) et de graines rouges (embem) ; les cauris peuvent être remplacés par de petites boules de plomb achetées aux forgerons arabes.
Ce bâton aidera les circoncis à marcher quand ils sortiront de retraite et pendant tout le temps nécessaire à la cicatrisation. Il représente une sagaie (labe) et était, au dire de nos informateurs, en usage du temps des Sao au cours de l’initiation. Chaque homme conserve le sien dans sa case jusqu’à la circoncision de son fils. S’il est détruit pour une raison ou pour une autre, termites, incendie, inondation, etc…, le père achètera tout ce qui est nécessaire à la fabrication d’un autre bâton.
Le quinzième jour de la retraite, le gardien prépare des boules de mil. Il en prélève une qu’il met dans une calebasse neuve. Suivis des circoncis et des enfants plus âgés il va à un arbre sacré, un sagele . Là, tout le monde s’assied en regardant l’arbre (fig. 2) ; le gardien se met entre lui et les enfants « pour que le génie (setâg) qui l’habite ne les prenne pas », il en fait le tour et jette aux quatre points cardinaux, en commençant par l’Est et en finissant par le Nord, les quatre quarts de la boule de mil qu’il a apportée.
En faisant cette offrande, il dit à l’arbre: tsarane deftalô komayado kalafya
« Nous les avons circoncis, ils sont sortis, maintiens-les en bonne santé ».
L’offrande terminée, ils rentrent dans le même ordre qu’à l’aller à la case de la circoncision et y mangent le reste des boules de mil préparées le matin. A partir de ce moment et jusqu’à complète cicatrisation, les enfants peuvent se promener entre la case de la circoncision, cet arbre appelé l’arbre des circoncis et la plus proche porte de la ville.
Pendant tout ce temps leur nourriture continue à être apportée par leur mère, mais de plus ils essayent d’en obtenir des petites filles qu’ils poursuivent et tentent d’atteindre avec leur bâton: si l’une d’elles est ainsi touchée, elle apporte un oignon2 au propriétaire du bâton. Les femmes kotoko qui passent sur le chemin doivent donner une partie de ce qui est dans leurs calebasses, eau, mil, poisson séché, mais surtout des oignons. Quand ils veulent du lait les circoncis mettent sur le bord du chemin un bâton et une calebasse ; les femmes arabes qui passent ne manquent jamais de la remplir du lait de leurs vaches qui paissent aux alentours de la ville .
La nourriture qu’ils recueillent ainsi est portée à leur gardien qui en prélève la moitié pour lui et prépare le reste pour les circoncis.
Pour hâter la cicatrisation, on creuse sous le segele sacré deux trous communiquant entre eux par un conduit souterrain ; dans un des trous un des enfants fait brûler des grains de tsem et à l’aide d’un éventail en plumes de vautour chasse la fumée vers l’autre trou au-dessus duquel un des autres enfants est couché à plat ventre de façon à faire subir à la plaie une fumigation.
Au bout d’une quinzaine de jours quand toutes les plaies sont cicatrisées, les enfants qui ne se sont pas lavés depuis le matin de la circoncision, sont, dans l’enclos qui précède leur case, lavés par leur père respectif avec de l’еаu contenant du karaga écrase. Ils mettent des vêtements neufs, pour la première fois un pantalon et une tunique.
La fête (gumuri) commence alors. Le gardien des enfants tue un bœuf devant la porte de leur case, toutes les femmes préparent une grande quantité de nourriture, boule, soupe au poisson, soupe à la viande de bœuf. On mange, on boit toute la journée, les garçons circoncis de l’année et des années précédentes et les non-circoncis font tourner les rhombes (geleô) fabriqués en cette occasion en bois de herr, ou, à défaut, des diables (geleô, également). On danse, et le soir, les jeunes gens sortis de retraite vont rejoindre les petites filles.
A Kouda, nous retrouvons les mêmes rites dont certains plus largement développés ; d’autres sont particuliers à cette dernière ville.
Réunis dans une case spéciale (hçsi) les enfants sont circoncis par le coiffeur (digeji, ka.) dont l’action au cours de la cérémonie se borne à cette opération. Un autre homme, le dakuma, prend soin d’eux, les soigne, les veille et les accompagne quand ils doivent sortir. Pendant la nuit il frappe sur un vieux mortier de bois (sirïo) donné par une vieille femme du village. Au lieu du bâton employé à Afadé, les circoncis tiennent dans la main gauche un grand bâton (ànsâg) fait d’une branche fourchue prise à un semo, arbre sacré qui se trouve dans l’enceinte du palais du chef et sous lequel est construit son trône. Ils portent attachée au poignet droit par des bandes d’étoffe blanche, une massue de bois (kanta) sur le manche de laquelle le dakuma a écrit un verset du Coran caché par l’étoffe blanche. Les enfants la conservent ainsi même pendant la nuit ; le jour ils l’agitent devant eux pour éloigner le mauvais génie qui fait démesurément grossir la verge, la maryam kurugu, grande femme qui, la nuit, cherche les hommes, les accompagne sur leur natte et, s’ils la touchent, « disparaît même quand la porte est fermée avec des chaînes ».
Ces deux insignes des circoncis ont, comme à Afadé, un sens précis : le bâton fourchu tenu dans la main droite représente le pilier central de la case, dey su fun, de fun, case ronde où l’on couche alors que les cases carrées comme celle de la circoncision s’appelle garu, et de dey, qui signifie à la fois le pilier de la case et le pilon du mortier . La massue, tenue de la main gauche, représente la verge.

Au bout de quinze jours, quand la retraite (illidàgfuni) est terminée tous les enfants sortent et, s’appuyant sur leur bâton, vont à la porte de l’Ouest, une des 6 portes de la ville (kogei sawe ftalu, de kogeisawe, porte, et de ftalu, route) ; là, deux d’entre eux croisent leurs bâtons en travers du passage et déposent des calebasses au pied. Toutes les femmes, kotoko et arabes, qui veulent franchir la porte doivent décroiser puis recroiser les bâtons, et surtout elles sont tenues de déposer une partie de leurs provisions dans les calebasses. Si l’une d’elles refuse, les circoncis la frappent avec leurs massues et ainsi, la rendent stérile. Mais cela se produit rarement car les femmes sont très heureuses de donner, disent les jeunes gens.
Le dakuma ne mange pas des aliments récoltés ainsi mais il reçoit comme salaire le jour de la sortie de retraite, les nattes sur lesquelles les circoncis ont dormi.
Quand ils sont guéris, il les lave avec de l’eau contenant du karaga écrasé, les habille de neuf : un pantalon blanc, une tunique blanche et une noire, un bonnet rouge ; si le fils du chef est parmi eux il lui met, et à lui seul, un sas. Les enfants s’enduisent les mains avec du beurre de vache.
Puis il sacrifie un mouton blanc et distribue trois boules de krep à chaque enfant, les donnant une à une, et c’est encore une à une que les circoncis les déposent dans la calebasse qui se trouve devant chacun d’eux.
Précédés de leur gardien, les enfants partent alors voir le chef qui est assis sur son trône et entouré des dignitaires. Par l’intermédiaire du madàm, notable qui est chargé de rendre la justice, le chef qui ne doit pas parler directement aux enfants, leur donne des conseils : il leur faut se marier et avoir beaucoup d’enfants, ils doivent être travailleurs et surtout être braves.
Quand ce discours est terminé, les enfants vont chercher les bâtons et les massues qu’ils avaient laissés dans la case de la circoncision, les brisent et en jettent les morceaux sur une fourmilière à l’extérieur de l’enceinte. Puis ils vont s’asseoir à l’ombre du samo sous lequel le chef les avait accueillis, emportant une des trois boules de krep données le matin, l’offrent à l’arbre, vont à un karaga, se placent à 25 mètres environ et jettent violemment un oignon sur son tronc.
L’offrande au samo a pour but de contenter le génie (setâg) de l’arbre et d’assurer une longue vie aux jeunes hommes. Si l’oignon jeté sur le tronc du karaga atteint son but, l’enfant deviendra un bon tireur à l’arc.
Ces cérémonies sont renouvelées trois fois le même jour. Si par malheur, un enfant n’atteint le karaga aucune des trois fois, il mourra dans l’année.
Le reste de la journée se déroule comme à Afadé. Le soir les jeunes initiés doivent aller retrouver les petites filles pour éviter d être pris par les setag et par les mauvais génies de la brousse, les antsi.
A Ngala (Gam. Brit.), le matin même de la circoncision, le père du plus jeune enfant tue un bœuf dont la chair servira à nourrir les circoncis pendant la retraite dans la case, nguši. C’est également le coiffeur (wanzama) qui, comme à Kouda, circoncit les enfants.
Les petites filles à marier doivent obligatoirement préparer la boule et la bouillie des circoncis. Si elles refusent, les jeunes garçons les frappent avec une cravache qu’ils tiennent de la main droite.

 

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La Maroua de l’indépendance
Sous Ahmadou Ahidjo (1960-1982)
Les nouveaux intervenants et le dépouillement des prérogatives du lamido

Après l’indépendance, la disparition de l’administration coloniale va multiplier les centres de pouvoir et diversifier les réseaux d’influence.
La création de la fonction de maire, la nomination de certains ministres originaires de la ville, parfois véritables missi dominici du gouvernement, et l’action de commerçants de plus en plus riches, imbriqués dans le politique par le biais du Parti unique (UNC), vont se conjuguer pour sonner le glas du pouvoir traditionnel dans la ville.
Le gouvernement Ahidjo n’est pas enclin à ménager les chefs traditionnels, vu le peu d’empressement qu’ils lui ont manifesté lors de son ascension. L’administration nationale n’a plus les mêmes préoccupations que la coloniale, qui voyai dans « les chefferies du premier degré », les lamidats « rénovés » un « rempart à la marée upéciste ».
Le gouvernement, opérant dans deux sphères, celle des services administratifs et celle de l’UNC, va progressivement rogner les prérogatives du lamido. Déjà la loi-cadre de 1956 recommandait la fermeture des prisons traditionnelles. En 1959, sous Lamido Ibrahimu, à la suite d’un abus de pouvoir sur la personne d’un gradé, le saare dangay (la prison du lamido) de Maroua fut aboli. Sous Ousmane Mey, alors préfet du Diamaré (1960-1963), il fut décidé que la zakkat serait désormais libre et non plus un droit régalien. Lamido Ibrahimu se montrant peu souple, sa charge lui fut retirée. On l’exila à Tibati en 1961. À la suite de quoi, le lamidat de Maroua subit un démembrement. C’est toutefois l’installation d’une commune urbaine avec un maire qui fut perçue comme un véritable coup de force de l’administration contre le lamido. Comment les compétences allaient-elles être réparties ? Exercice difficile d’autant que l’interprétation des textes laisse un certain flou. Il fallut toute l’habileté de L. Muhammadu Koyranga (1961-1966) et celle du premier maire, Alium Mana (1960-1967) pour réussir. Le lamido demeure l’inamovible premier adjoint. Les ordres du jour sont débattus au saré du lamido, avant d’être exposés lors du conseil municipal. On ne toucha pas aux taxes traditionnelles alimentant le baytal, le lamido gardait un droit de « main morte » sur les sarés et les terres sans héritier. On lui reconnaît également une sorte de propriété sur les « quartiers historiques », en particulier Garré-Bongor, Diguirwo, Zouloum et Kakataré. Le peu de titres délivrés ne le sont que sur demande du lamido.
L’état civil fut transféré du saré du lamido au bureau de la mairie, les serviteurs du lamido devenant des agents de la commune urbaine. Le maire a un droit de préemption sur les terrains (là encore exercé en accord avec le lamido) et procède au « déguerpissement » et au « recasement » des déguerpis. La commune urbaine a repris le service de la voirie, qui, dépendant du magaaji, était une source de financement indirect et de corvées pour le lamido. Elle récupéra, en théorie, les taxes des divers métiers, du marché, des « stationnements », le lamido ne bénéficiant que de « gestes volontaires ».
Les prérogatives de l’édile ont néanmoins des limites. Il ne peut convoquer un chef de quartier qu’avec l’aval de la sous-préfecture, alors que le lamido procède dans ce domaine comme bon lui semble. Le préfet, qui a en tutelle la commune urbaine, apparaît donc un peu comme un arbitre entre maire et lamido.
Toutefois, le lamido pense en termes de lamidat, et Maroua est au centre des terres qu’il revendique. Quand l’indépendance est proclamée, le petit peuple de Maroua se sent appartenir à un lawanat dépendant d’une sorte de lamidat national, dont les ministres seraient de supernotables de la faada d’Ahidjo. L’homme fort de Maroua sera le ministre des Postes, Sanda Oumarou, « l’ami du Président ». Il fera et défera lamidos et lawans, essaiera de se tailler des fiefs, comme le canton de Tchéré… surveillera la ville, jugée frondeuse à l’égard du gouvernement.
À des échelles moindres, les pressions administratives, des préfets, sous-préfets, voire chefs de services, pourront jouer pour contrecarrer certaines décisions du lamido. Chaque nomination de chef de quartier, qui participe au registre des « affaires coutumières », devient un enjeu entre le lamido et la sous-préfecture. La politique du lamido consistera à placer un membre de sa famille sur des quartiers vacants après la division de certains vastes quartiers, comme Doualaré par exemple. À l’inverse, il s’opposera à ce qu’un grand quartier, apanage d’un membre de sa famille, comme Dougoy II, soit scindé. Ce que les gens de Maroua dénoncent comme la « politique des alhadjis » est l’intrusion de plus en plus systématique des riches commerçants dans la vie publique de Maroua.
Une première génération de commerçants apparut entre les deux guerres. Certains préfiguraient déjà les alhadjis modernes, avec comme chef de file, Ajia Duji (un affranchi de Mindif), qui devint saarkin turawa. Ils bâtirent leurs fortunes sur le commerce des peaux et du sel avec le Bornou. Ils entrèrent rapidement en conflit avec le lamido, dont ils copiaient le faste : grand saré à hauts murs, zawleeru imposant, domesticité importante, petite clientèle, grand nombre de chevaux… Certains furent récupérés dans la faada même du lamido; d’autres, qui s’adressèrent directement à l’administration, furent éliminés par le lamido.
Les alhadjis ont conquis leur situation prépondérante comme négociants-transporteurs. Ils commencent à émerger dans les années 1950 (une dizaine de transporteurs à Maroua et dans sa région en 1954). Ils se livrent à la collecte des arachides, du mil, et cherchent à être « agréés » par l’administration (grâce à des appuis politiques) sur les circuits commerciaux « officiels », pratiquant des ententes pour commercialiser huile, sucre…
Dans les années 1980, ils disposent de flottes de camions, d’un réseau plus ou moins étendu de magasins et de boutiques, d’une antenne à Douala et d’un parc immobilier en location. Depuis 1986, certains se lancent dans le mécénat religieux et financent la construction de mosquées à minaret, à leurs couleurs, dans les quartiers de Maroua ou les villages périphériques.
Les alhadjis vont « sponsoriser » des yeriima pour les porter au pouvoir comme lamido, lawan ou même comme chef de quartier. Les yeriima, à peu d’exceptions, végètent avant de pouvoir briguer le pouvoir. Au moment de la succession, il leur faut acheter les voix d’un certain nombre de grands électeurs, lawans, jawro, notables… ou leur titre auprès du lamido. Un ou plusieurs commerçants vont alors prendre en charge ces investissements, avançant des sommes, prêtant des véhicules pour de véritables campagnes électorales.
Par la suite, les donateurs seront dédommagés par des facilités pour l’acquisition de terrains, l’installation de boutiques, de moulins…
La politique des alhadjis sera surtout dénoncée lors des spéculations foncières, montées avec la complicité active du maire en fonction. On n’ose encore toucher à la ville du lamido, ce sera donc la ville du kaygamma, Djarengol en particulier, qui subira les premières spéculations.
Djarengol n’est toujours pas subdivisé, les kaygamma s’y opposant. Les sous-quartiers sont des lieux-dits et les chefs de quartiers de simples collecteurs d’impôt du kaygamma. Il en est de même des différents quartiers Pidéré.
Le déguerpissement d’un quartier de Djarengol, derrière la gendarmerie et l’École d’agriculture, eut lieu en 1969. On déplaça les populations sur Pitoaré, sans dédommagement d’aucune sorte, ni puits, ni infrastructure.
En même temps, s’installait le personnel de l’huilerie de Pitoa fermée en 1970, qui était récupéré pour faire fonctionner une seconde unité à l’huilerie de Maroua.
Le fait nouveau est que les spéculations foncières vont toucher les marges de la ville du lamido.
En 1973, ce sera le déguerpissement du quartier Bongoré (en face du stade). Ce quartier avait été peuplé dix ans auparavant par des familles giziga qui s’étaient installées à la suite du chef de Kaliao exilé avec ses gens. L’éventrage des sarés montra des habitations giziga traditionnelles avec doubles cases affrontées et silos. Ces populations furent déplacées sur la route de Mindif, à Mandararé, dans une situation provisoire, toujours sous l’administration d’un koffa du lamido. À cet endroit furent construites des villas de rapport, propriétés d’alhadjis, louées à de hauts fonctionnaires ou à des expatriés.
Les spéculateurs s’attaquèrent aux marges de la ville car ils s’appuyaient sur l’idée qui a toujours prévalu depuis la création de la Maroua peule que les ayants droit ne peuvent être que musulmans ; les non-musulmans étant envisagés comme des candidats à l’islamisation. On comprend mieux la difficulté d’installation de sous-quartiers chrétiens et la précarité de leur situation devant un pouvoir traditionnel et une administration qui, sur le sujet, partageaient le même avis. C’est donc l’administration (entièrement musulmane) qui va museler le pouvoir traditionnel, et une classe nouvelle de riches, celle des alhadjis, qui va chercher à le dépouiller.
Le lamido, face aux maires, sous-préfets, préfets et ministres, subit ce nouvel encadrement politique qui repose sur une logique nationale.
Ainsi le lamido se trouve-t-il à son tour dans la situation passée du kaygamma, spolié par une mécanique administrative et idéologique sur laquelle il n’a plus de prise.
La progression de la ville
Les travaux de voirie se poursuivirent, en particulier sous le mandat du premier maire.
On s’employa au redressement d’un certain nombre de rues, au percement du plus long axe de Maroua, qui part de Boussaoré, passe par Founangué II, jusqu’au quartier du saarkin paawa vers le nord, et surtout à l’établissement de la double voie de Kakataré. À la différence d’autres villes du nord, comme Ngaoundéré, les percements de rues se déroulèrent sans trop de difficultés. On creusa un fossé profond pour recueillir les eaux de pluies de hosséré Marouaré, à Lopéré, qui fut dénommé « mayel Maire ».
L’assainissement de la ville s’est continué avec le comblement de certaines mares: Luggere biyyere (de bi’y’ye, graines de coton), avec l’aide de la CFDT, à l’emplacement du marché aux légumes, ou encore, plus tard, celui de Luggere Mamma Dakkere, qui donna lieu à une nouvelle spéculation foncière. Le grand marché fut encore agrandi. Néanmoins, il ne sera construit en dur, avec des boutiques, qu’en 1973-1974.
Au fur et à mesure que la ville s’agrandit, certaines activités deviennent indésirables et sont rejetées vers la périphérie. Dans le passé, ce furent les ateliers de foulons, plus récemment ce fut l’abattoir et les mégisseries. Vers 1963-64, l’abattoir quitte l’actuel marché aux légumes (loumo Hako) pour Kossel Bei. Les tanneries, après être passées successivement par différents quartiers, se stabilisent à Patchiguinari en 1962. Elles seront en fin déplacées hors de la ville au bord du mayel Dada-Mama, sur la route de Mindif, en 1981.
La logique qui consiste à construire sur des champs en limite du périmètre urbain, obligeant ceux qui les exploitent à acquérir des parcelles à cultiver toujours plus loin, se poursuit.
Ces nouveaux espaces bâtis sont souvent le fait de gens qui construisent sur leurs champs. Il y a ainsi implantation de quartiers à partir du centre vers la périphérie. L’imbrication de champs appartenant à plusieurs quartiers peut susciter des situations peu claires lorsque ces derniers se lotissent. Le quartier de Baouliwol, en face de Koutbao, peuplé de colonies mofu et giziga, en est un exemple. La sous-préfecture voudrait réunir ce puzzle, mais ni le kaygamma, ni les chefs de quartiers de Palar I et II ne veulent en entendre parler.
Les mêmes mécanismes d’accueil aux réfugiés évincés du pouvoir opèrent encore. Lorsque Yuguda Koce, chef de Kaliao, fut démis de ses fonctions par la sous-préfecture en 1964, le lamido Muhammadu Koyranga offrit, à lui et à sa clientèle, des terres vers les Comices et le mayo Tsanaga qui devinrent un sous-quartier appelé Kaliaoré.
Le quartier Nassarao (victoire), appelé aussi Bamaré, accueillit des populations du Cameroun britannique qui, au moment de l’indépendance, optèrent pour le Cameroun. Il s’agissait de vingt-cinq à trente familles, originaires de Bama, qui, en indélicatesse avec les autorités, profitèrent des conditions d’accueil proposées. On enregistre une forte progression de la ville à l’est. Le quartier Ouro Bikordi est peuplé de Bornouans, forgerons pour la plupart, qui quittèrent Mindif, en désaccord avec le lamido. Dougoy II se développe aussi et une série de sous-quartiers commence à apparaître : Gortogalwo, Ouro Goni, Ouro Gamara.
Toutefois, les quartiers qui ont connu les plus fortes progressions durant cette période sont Djoudandou et Doualaré. Le premier, initialement peuplé de riimay’be et de hoogi’be (serviteurs ayant fui leur condition), accueillit les petits métiers. Doualaré disposait d’une base de départ plus large. Son extension est spectaculaire comme en témoigne la comparaison des photographies aériennes de 1953 et de 1985. Un Bornouan Paatawal, Sali, venant de Meskine avec trente personnes,créa ce quartier, qui prit forme administrativement en 1971. À la mort de Sali en 1988, on le scinda en deux sans toutefois officialiser la partition. L’espace en arrière de Djoudandou et de Doualaré commence à se peupler dans les années 1970. Mayel Ibbé sera fondé en 1971 par un serviteur du lamido. En 1975, Mayel Ibbé entre en contact avec Lowol Diga Mofou, et, en 1978, avec Laïndé.
À l’arrière, plus au nord, à Wourndé (wurn’de, le col), des constructions apparaissent dès 1965, mais Wourndé Bouloré ne sera créé qu’en 1975, Bellaré I en 1976 et Djébé en 1978… Leurs contours resteront flous, et Bellaré II ne verra le jour qu’en 1985. Ces quartiers, peuplés de montagnards, entrent, dès leur fondation, dans la mouvance du lamido. Ce dernier désigne pour chaque quartier un ciimaajo (serviteur, représentant du lamido) et cela avant même que ledit quartier ne soit officialisé et n’apparaisse sur les registres de la sous-préfecture et de la mairie. À la différence des populations de plaines non islamisées, les montagnards sont encore très sensibles au pouvoir du lamido. Ils reçoivent de lui l’autorisation de cultiver les collines de roches vertes. Ces chefs de quartiers ne cessent d’être sollicités pour s’islamiser .
Maroua de 1983 à 1997
Avec l’arrivée au pouvoir de Paul Biya, fin 1982, Maroua passe de chef-lieu de département à capitale de province en 1986, ce qui fut perçu comme une revanche sur Garoua, sa rivale.
Sous les mandats du premier président, Maroua ne reçut que des crédits d’équipements mineurs, afin de ne pas gêner le développement de la capitale du Nord : Garoua. Conséquence de la diversification des services techniques, le nombre de fonctionnaires est multiplié, confortant la vocation tertiaire de la ville. Avec eux, sont montées du sud des familles pléthoriques qui ont fait brusquement grossir les contingents gadamayo (sudistes), phénomène particulièrement ressenti au niveau des établissements scolaires.
C’est enfin l’entrée de Maroua dans la société nationale par le biais de la laïcité. Antérieurement, pour être dans l’administration du Nord, il fallait « porter le bonnet », autrement dit être musulman. Dix ans après, le corpus des fonctionnaires est plus mêlé et les nonmusulmans dominent. Cette remontée des gens du Sud a fait prospérer certaines activités. À Maroua, une autre ville se met en place, qui si elle n’a pas, à la différence de Garoua, ses propres quartiers , ne vit pas aux mêmes rythmes que la Maroua traditionnelle. Cette population « d’expatriés de l’intérieur » se superpose à la fois aux quartiers peuls et aux quartiers haa’be périphériques.
À la différence de Garoua et de Ngaoundéré, Maroua refuse les quartiers ethniques, comme elle a refusé sous la colonisation la notion de « chef de race ». Cette politique, menée tant par les lamidos que par les maires, manifeste une volonté de disperser les nouveaux venus dans les quartiers pour mieux les intégrer et les islamiser. Ainsi, au début de la période coloniale, un Hausa, Alhaji Balarabe, qui intriguait pour obtenir un quartier (Founangué I) se le vit refuser par Lamido Saajo qui le soupçonna de vouloir créer un quartier hausa. De même, plus récemment, des pressions s’exercèrent de la part de Bamileke (commandant du Corps urbain, magistrats et commerçants) pour se faire céder un vaste périmètre à l’ouest de la ville, le maire et le kaygamma s’y opposèrent. La délivrance de titres fonciers ne se fait qu’en ordre dispersé dans la ville. Les années 1980 auraient dû être celles de l’industrialisation de Maroua, elle n’a pas eu lieu. Alors que le commerce d’import-export marquait le pas, les alhadjis furent sollicités pour créer de petites unités industrielles, peu y répondirent ou prirent des parts infimes comme dans la Sitraf, ou encore Notacam (cf. La répartition socio-professionnelle).
À la fin des années 1980, la plupart des alhadjis sont fortement endettés, leurs biens immobiliers hypothéqués. Ils ne peuvent plus avoir recours aux crédits faciles, cautionnés par les hauts pouvoirs politiques. Ils subissent la concurrence de leurs propre dilaali (courtiers, commissionnaires) qui, à Douala, reprennent à leurs comptes, une partie des filières. Le conflit entre les alhadjis de la première génération, Bornouans et hausa, et les nouveaux, Fulbe ou Foulbéisés, regroupés autour du « groupe de Kongola », ne cesse de s’exacerber, pour le contrôle du grand marché et à travers le pluripartisme mis en place en 1991. Ils n’en continuent pas moins à bâtir des villas ostentatoires. Il ne s’agit plus de villas comme celles construites dans les années 1960 et 1970 pour être données en location aux expatriés et dont les loyers, dans le cas des coopérants (les loyers étaient versés par le ministère de la Coopération) constituaient une sorte d’aide au développement du Nord-Cameroun. Les villas d’alhadjis sont la copie de villas vues en Arabie Saoudite, immenses, avec une démultiplication des pièces, un abus de stuc… Toutefois, les aménagements suivent mal, en particulier les luminaires.
Les zawleeru disparaissent, le plus souvent remplacés par des portails, car il faut faire entrer les voitures, mais ces portails sont monumentaux, en fer forgé, avec les initiales du maître de céans, véritables sceaux de leur réussite sociale.
Les entreprises expatriées, quasi absentes ou de taille modeste, ont, en 1997, disparu.Les rares autres ne sont là que pour la durée d’un grand chantier.
Le tourisme, dont on a toujours beaucoup attendu, n’arrive pas, en raison d’une politique pour le moins hésitante à faire vivre les quatre principaux hôtels de la ville. Maroua reste une ville où le secteur dit informel est de plus en plus omniprésent, intégré dans des réseaux de commerces « transversaux », branchés sur la frontière du Nigeria, avec comme poumon le marché de Banki. Les créations nouvelles, infrastructures et encadrements sont toutes d’origines étrangères : école pour les agents de santé (Coopération belge, 1985), après l’ouverture d’une école d’infirmiers vétérinaires (Coopération belge, 1980), aéroport de Salak rénové de 1989 à 1992 avec des aides italiennes…
Plus l’État montre ses carences et se désengage, plus les ONG se multiplient; en 1997, elles sont plus de vingt à avoir pignon sur rue.
Les carences de l’État éclatent au grand jour lors des comices de janvier 1988. Les comices agropastoraux servent habituellement au Cameroun à relancer les infrastructures du chef-lieu de la province où ils se tiennent. Celui de Maroua fut un échec au niveau des équipements: le réseau des chaussées a été laissé en chantier jusqu’en 1992 où il fut partiellement achevé.
La plupart des bâtiments administratifs en sont restés à des carcasses de béton.
Toutefois, les comices auront donné à Maroua l’occasion de construire « en dur ». Après la disparition des toitures de chaume lors de la décennie précédente, la ville connaît le passage du banko au parpaing .
La population de la ville ne cesse d’augmenter. En 1976, lorsqu’elle englobe les quartiers périphériques vers Makabay, Ziling, Palar I et II (soit 4 061 habitants), elle compte 67 000 personnes.
En 1987, elle passe à 123 000 habitants et, en 1992, à 163 000, auxquels il faut ajouter les résidents temporaires.
La ville se développe à l’est et à l’ouest, comblant les espaces compris entre Ouro Tchédé et Meskine, entre Doursoungo et Kongola, pour créer une conurbation de plus de 15 km de long. Les vides qui séparaient Lowol Diga Mofou et Doualaré s’estompent en 1992. Vers le nord, la progression de la ville dans le golfe de Lowol Diga Mofou s’accompagne d’une urbanisation complètement anarchique, sans réseau de rues. Les constructions s’emparent des pentes – car le terrain n’est pas approprié – en 1990. L’utilisation de matériaux de récupération fait penser à une forme de « favellisation » de la banlieue nord. Les infrastructures (voirie, adduction d’eau, réseau de distribution d’électricité) sont vieillies et inadaptées à un tel accroissement démographique. Même la grande institution de Maroua, luumo altinewo, le marché, demanderait à être rénové, à la façon de celui de Garoua en 1985.
Si l’on se reporte aux projections faites en 1982 dans le « Plan d’urbanisme directeur, horizon 2000 », du BCEOM, pour la ville de Maroua, on s’aperçoit que seuls les « coups partis », c’est-à-dire les projets engagés en 1980, ont abouti : camp SIC, Pont Rouge, Boulevard du Renouveau, aménagement de la périphérie du marché allant de la sous-préfecture à Kossel Bei, grande mosquée de Dougoy.
Il faut dire que le plan se montrait bien optimiste, « l’hypothèse basse » fait passer Maroua de 237 000 habitants en 1990 à 332 000 en 1995 et 500 000 en l’an 2000.
Le plan d’urbanisme directeur est conçu dans l’idée que le phasage de type plan quinquennal (nous sommes à l’époque du V plan) va se poursuivre, mais la crise de la fin des années 1980 contraint à suspendre les plans. Ce schéma d’urbanisme directeur comprend quatre « unités urbaines ». La première, U1, intéresse la ville de 1980, limitée à l’est à Dougoy et, à l’ouest, à la route de contournement Garoua-Kousseri. Les trois autres unités, nouvelles, se présentent comme de véritables villes-satellites. U2 prévoit une extension à l’est de Maroua, entre le mayo Tsanaga au sud et la route de Petté (ex-route de Mora) au nord, incluant Dougoy, 1 700 hectares prévus pour 155 000 habitants. U3 encadre l’extension à l’ouest, après la route Garoua-Kousseri : 1 800 hectares pour 156 000 habitants ; c’est l’unité la plus aérée en raison du réseau hydrographique. U4 vise l’extension au sud de Maroua, audelà du mayo Tsanaga : 1 570 hectares pour 142 000 habitants. U2 et U3 disposent chacune d’un centre avec son système de voirie semi-rayonnant, relié à l’ancienne ville par un « axe structurant ». U4 est plutôt établie sur un plan en damier,le tout est bouclé par un boulevard circulaire. Chaque unité est découpée en quatre zones : habitat et activités, habitat évolutif, habitat concerté et « villas », la superficie dévolue à l’habitat évolutif allant de 61 à 65 %. Dans chaque unité sont prévus un grand marché, une grande mosquée et un dosage d’établissements scolaires, des centres de santé, des commissariats d’arrondissement, des centres de loisir…
Des zones non constructibles sont également prévues en raison de la présence des mayos et des « plantations en régies ».
En 1997, aucune des prévisions du plan n’a été réalisée. Les implantations au nord-est et au sud de la ville n’ont pas eu lieu car ces zones sont de riches terres à muskuwaari que les gens de Maroua ne sont pas prêts à abandonner. De plus, elles ne deviendraient constructibles qu’après de gros travaux d’assainissement. « L’espace vécu », en accord avec ses modes économiques d’exploitation (cf. carte de L’emprise agricole de la ville de Maroua), n’a pas été pris en compte. En revanche, la zone d’extension des quartiers nord, Djoudandou, Doualaré, Wourndé, entre les collines, est, dans le plan directeur, réservée à des « espaces verts ». Dans les années 1990, c’est la partie de la ville qui se développe le plus vite, peuplée de montagnards qui occupent là des terrains non appropriés en cultivant les pentes des collines.
Les zones d’habitations, administratives et industrielles ont été projetées en fonction d’une organisation des transports en commun inadaptée et toujours inexistante. Le plan directeur n’a pu anticiper l’explosion après 1985 du phénomène moto-taxi, moyen pratique et économique qui fait vivre les jeunes et conduit les gens du plus profond des venelles du centre de la ville vers les quartiers périphériques.
L’extension de la zone industrielle à partir de l’actuelle prévoyait l’implantation d’une dizaine de PME. En 1997, les quelques PME existantes ont fermé. Aucun nouvel espace vert n’a été créé. Ce n’est pas dans l’esprit des élites et des administrateurs, d’une part et d’autre part, l’administration dispose de réserves foncières qu’elle estime suffisante pour freiner l’urbanisme sauvage. Elle a, du reste, bien du mal à les entretenir.
L’administration coloniale devait couvrir la ville d’arbres, il y eut différentes modes, celle des kapokiers, celles des cailcédrats et des neems. Toute la vieille ville et une partie de Domayo se présentent comme une sorte d’oasis par rapport à la région environnante. En revanche, dans les quartiers nord de Doualaré et de Djoudandou et une partie de Domayo, à Pitoaré et Palar, il n’y a plus, depuis la fin des années 1970, de volonté de planter des arbres, comme cela se faisait systématiquement lors de l’établissement d’un lotissement. De plus, les arbres, non renouvelés, meurent. Les grands cailcédrats sont cravatés et l’écorce sert à brasser la bière. Ils ont quasiment disparu du boisement des Eaux et Forêts, à la jonction du mayo Kaliao et du mayo Mizao et, peu à peu, le long des rues.
En 1997, Maroua en est restée à un développement linéaire sur les deux rives du mayo Kaliao. On assiste à un renforcement des deux centres administratifs, de part et d’autre de la vieille ville, et à une forte densification du tissu urbain que l’on ne prévoyait pas. Le saré du lamido, aux bâtiments hérités de la période coloniale, semble immuable. Il n’a vu que récemment, en 1991, sa muraille de terre remplacée par des parpaings. Voisin des sarés des serviteurs, de la Grande Mosquée, de la mastaba (école franco-arabe), encadré par les sarés de l’imam à l’est et par ceux du ciiroma et du magaaji à l’ouest et, au sud encore, par celui de lamido cudde, ce saré reste pour les gens de Maroua toujours au cœur de la cité.
Mais le pouvoir y est-il encore ? Il se partage plutôt entre les vastes sarés des alhadjis aux portail ostentatoires, dominés par des antennes paraboliques, et les mosquées à minarets qui fleurissent et rappellent que depuis deux siècles Maroua demeure, selon l’expression de G. Prestat, une « Ville d’Islam »..