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MAROUA ÉVOLUTION HISTORIQUE 3

La Maroua coloniale
Essai de suivi de la population

Lors de son expédition en 1893 dans le Nord-Cameroun (op. cit.), S. PASSARGE (1895) avance le premier chiffre de 60 000 à 70 000 habitants à Maroua. Il en fait la ville la plus peuplée de l’Adamawa, loin devant Ngaoundéré et Garoua qui n’est créditée que de 5 000 âmes.
1893 est l’année de l’arrivée de Rabah au Bornou. Modibo Hayatu, installé dans la région depuis quelques années pour y intriguer, a rallié sa cause. Cette époque troublée a vu Maroua se gonfler d’une population importante de réfugiés. La ville ne semble pourtant se déployer que sur 2,5 km. Les sarés enclos de hauts murs disposent encore de corrals, de jardins, voire de mares ; les densités y sont faibles, même si, en revanche, la main-d’œuvre servile s’entasse dans les zawleeru ou quelques dépendances. Moins de dix ans après, en 1909, O. Zimmermann, compagnon de H. Dominik, le vainqueur de la bataille de Maroua (1902), livre à son tour une estimation de 30 000 habitants. Nous pensons que le chiffre avancé par S. Passarge est surévalué, celui de O. Zimmermann conviendrait mieux.

Sous la colonisation allemande et les débuts du mandat français, on assiste à une récession notable de la population de la ville. Le Rapport annuel de la Circonscription de Maroua de 1919 (ANY/APA 12/033) fait état de 20 000 habitants et estime à 100 000 la population environnante, dans un rayon de cinq kilomètres .
Le chiffre du recensement administratif de novembre 1916 donne 25 000 habitants (ANY/Vt 17/206/B), nombre bien en deçà des estimations des premiers observateurs allemands.

Toutefois, les recensements administratifs opèrent dans un périmètre urbain délimité, alors que l’on ne sait quelle suite de quartiers plus ou moins contigus les estimations antérieures ont bien voulu prendre en compte. D’entrée, l’administration coloniale essaya de trouver une limite au périmètre urbain, notion étrangère de la conception d’un lamidat, où il existe un garre, quartier où réside le chef, et une nébuleuse de quartiers plus ou moins proches.
Ceux-ci n’ont pas une structure et une composition très différentes de celles des villages de brousse.
L’administration créera parallèlement un « Maroua-Environs », qui après 1936, cèdera la place à plusieurs petits lawanats. Le but des recensements administratifs est de déterminer le nombre d’imposables, entraînant une ignorance ou une sous-estimation des femmes seules, des individus âgés, infirmes… Cette sous-estimation est inhérente aux recensements de la période coloniale car, lamidos, lawans et même jawro avaient intérêt à fournir des chiffres inférieurs, afin d’empocher la différence des rentrées fiscales. Les auxiliaires de recensement n’étaient autres que des notables commis par lesdits lamidos et lawans. L’administration fermait les yeux.

Dans les années 1930, ces prélèvements sur l’impôt constituaient une sorte de compensation du manque à gagner de la traite et des opérations de rapine que l’administration s’efforçait d’éliminer.
C’est moins le choc direct de la colonisation qui va vider une partie de la ville que le rôle nouveau qu’elle va attribuer au lamido. Les administrations coloniales agiront ainsi par méconnaissance profonde de l’histoire de Maroua.
Les Allemands, puis les Français aligneront Maroua sur le stéréotype du lamidat que l’administration s’était bâti, en donnant tous les pouvoirs au lamido. L’homme de confiance des Allemands sera L. Abduraamani Suudi (1901-1908). Il régna par la terreur. Il devra mater les religieux, majoritairement acquis au mahdisme, doctrine fortement combattu par le colonisateur (MOHAMMADOU ELDRIDGE, 1976 : 336). Il profitera de l’appui de l’administration pour liquider toute opposition, en particulier celle du kaygamma et de Zokok. L’application de certains principes de l’occupation allemande comme la lutte contre les voleurs va multiplier les exécutions, alors que la traite continue comme par le passé.
Le règne de Lamido Suudi sera la « grande époque » du lamidat de Maroua, (qui annexe Petté, Bogo et Gawar). Lamido Koyranga (1908-09/1914), qui succède à L. Suudi, sera révoqué et remplacé par Lamido Saajo. Avec ce dernier, les Allemands procèdent à un changement de lignées. La répression qui s’abat alors sur la branche aînée et sa clientèle ajoute encore à la confusion. Encore de nos jours à Maroua, la lignée de Sali et celle de Moodi, tous deux fils de Modibo Damagaram, restent concurrentes. Ç’en était fait de l’esprit de liberté de la Maroua précoloniale. Maroua était maintenant à l’image de Mindif, Binder, Bibémi… Avec à sa tête un lamido despote, appuyé par une administration coloniale, au personnel peu nombreux, qui trouvait commode de s’en remettre à lui.

Devant ce pouvoir arbitraire, la population, les grandes familles en particulier, préférèrent quitter Maroua pour leurs fiefs du mayo Boula ou les villages périphériques : Katoual, Kongola, Balaza… Repli qu’elles considéraient comme temporaire.
Elles le firent d’autant plus facilement que les opérations de police coloniale contre les païens rendaient moins dangereuses les campagnes, à l’ouest de Maroua notamment.
La guerre de 1914-1918 ne va pas épargner Maroua et sa région. C’est une période pleine de troubles et d’intrigues. Après un chassé-croisé Allemands/Alliés, le 14 décembre 1914, le lieutenant-colonel Brisset entre à Maroua. Que la ville de 1919 ne compte que 20 000 habitants semble logique. Les gens qui ont quitté Maroua attendent de voir comment va se dérouler la relève française. Elle les confortera dans l’idée de prolonger leur attente : les pouvoirs du lamido sont maintenus par les Français. L’époque de « l’indigénat » va commencer pour ne s’achever qu’en 1945.
Le Rapport du premier trimestre 1926 de la Circonscription de Maroua (ANY/APA 12033) donne une population de 25 000 habitants, le même chiffre avancé en 1916 et que l’on confirmera jusqu’à la fin des années 1930. L’époque 1939-1945 a certainement marqué un pallier dans la croissance de la ville. Toutefois les chiffres évoqués jusqu’en 1954 semblent faibles, pour 1945 : 15 961 (BEAUVILAIN, 1989 : 570) ; 1953 : 16 606 (PRESTAT, 1953) ; 1954 : 17 269 habitants. Faut-il dans le premier cas incriminer une circonscription un peu aléatoire ? l’effort de guerre et la désorganisation des services sanitaires ?
La faiblesse de ces chiffres serait plutôt à mettre au compte de la carence des recensements – De vrais recensements plutôt que des estimations – ou d’une interprétation plus étroite du périmètre urbain ; elle illustre malgré tout une stagnation. Le repeuplement se fera à la fin des années 1950.
La période allemande
Les Allemands n’auront tout d’abord qu’un campement à Dougoy, en marge de la ville, non loin du campement du jawro Baariki, où stationnaient les grosses caravanes. Ils s’installèrent ensuite sur la colline de Modjogomoré. Weyse, le premier résident, fera construire un bâtiment à l’emplacement de la résidence actuelle du gouverneur, ainsi que trois petits bâtiments (prison, bureau, menuiserie) sur le col qui relie Modjogomoré à hosséré Marouaré. Il provoqua un premier déguerpissement d’une partie du quartier Zouloum, puis en contrebas de Modjogomoré, à l’ouest, le vieux quartier Ouro Ardo est déguerpi pour monter le camp des gardes, à l’emplacement de l’Hôpital Central.
À l’est, une partie de Zokok, appelée Mba-gouré (de mbaggure, tambour, en fait un rocher (creux) qui résonnait pour avertir du danger les gens de Maroua), subit le même sort pour bâtir des bureaux, qui seront ceux de la préfecture, puis de la province.
À l’emplacement actuel de la PMI fut mis en place un petit marché : luumel townde qui fonctionnera jusque vers la fin des années 1930.
En face de Zokok, sur la route du sud, il y eut le « bureau des Allemands », près du pont, où se trouve aujourd’hui le bâtiment de Socatour. Les Allemands recevaient là les doléances des populations, exerçaient la justice, rassemblaient ce qui était plus proche d’un tribut que d’un impôt, en particulier le bétail, qui était convoyé à Garoua. Les Allemands étaient peu présents à Maroua qu’ils dirigeaient à partir de Garoua, leur place forte. Peu de quartiers verront le jour durant cette période, excepté Gada Mahol (hors du mur), avec Alhaji Haman Bindir, sous Lamido Saajo. En revanche, le contrecoup de la pacification de la région par les colonnes allemandes entraîna un départ des éleveurs de Maroua, surtout de la ville ouest, Zouloum et Missinguiléo. Ils suivirent le mouvement des Fulbe Sawa éleveurs établis à Doyang Massinika et tout le long des hardés, de Zokok Ladéo à Bilmiti, et qui partirent occuper les no man’s lands des piémonts.
Zouloum était alors un vaste quartier subdivisé en sous-parties dont une était réservée au saarkin saanu.

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